Marcel
Bozonnet a été formé par le théâtre lycéen, puis universitaire.
Il est vite amené à faire des rencontres décisives ; Jean-Marie
Villégier, Valère Novarina, François Regnault et devient l'assistant
de Roger Blin. Courant d'un groupe à l'autre, il travaille
avec Alfredo Arias, Alain Ollivier, Georges Aperghis, Antoine
Vitez…en interprétant le répertoire classique et contemporain.
Il est également marqué par le théâtre musical et l'enseignement
contemporain de la danse. En 1982, Marcel Bozonnet est engagé
par Jacques Toja et entre dans la troupe de la Comédie-Française.
Il en devient le 476è sociétaire en 1986. Au cours de ces
dix ans au sein de la Troupe de la Comédie-Française, il participe
à des créations littéraires, et à des lectures-spectacles.
En 1993, il est nommé directeur du Conservatoire national
supérieur d'art dramatique .Depuis le 4 août 2001, Marcel
Bozonnet est Administrateur général de la Comédie-Française. |
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Vous avez été le directeur du Conservatoire National d'Art
Dramatique de Paris, acteur, metteur en scène, vous avez fait
tout ce qu'on peut imaginer faire au théâtre, et maintenant
vous vous retrouvez à la tête de la Comédie Française. Comment
ça se passe?
On peut considérer qu'on est arrivé
à un moment dangereux, dans un monde tout à fait différent,
où la dimension historique, ce qui constitue l'histoire de
notre culture, de notre civilisation, ne doit pas être oublié
et quand je dis ça, c'est peut-être déjà trop tard ! La Comédie
Française a son origine dans le XVIIe siècle, dans un grand
siècle, où effectivement on était passé du théâtre religieux
du Moyen Age - qui constituait une grande forme d'éducation
sur la morale, la transcendance - à la culture des cours princières,
échappant de la sorte à la religion. Le fondateur de notre
théâtre, c'est donc Molière. Et dans le théâtre de Molière,
il y a d'abord un appel au plaisir, au désir, même quand Molière
s'allie avec Lully pour les comédies ballet, dans lesquelles
une réflexion sur la société, sur la position des femmes,
et des enfants et une attaque très violente de la religion
s'articulent. Autant de thèmes qui ont été extraordinairement
puissants et qui ont constitué une nouvelle morale pour l'être
humain.
Tout cela, c'est notre grand héritage, c'est ce qu'on peut
appeler l'héritage du Grand Siècle. On est sorti de la culpabilité,
de la faute, en introduisant cette notion de plaisir qui n'est
pas rien. À l'heure actuelle, nous connaissons des sociétés
dans lesquelles la notion de plaisir n'est pas encore apparue
ou totalement interdite. Et l'on peut mesurer la différence.
Notre mission, c'est de faire toujours progresser notre connaissance
de ce siècle-là. C'est pourquoi la Comédie française
est très liée aux recherches historiques. Parce que l'histoire
progresse, on est amené à lire d'une manière nouvelle des
œuvres que nous connaissions très bien. L'hommage au Grand
Siècle se traduira l'an prochain par la programmation d'Esther.
C'était en son temps une commande de Madame de Maintenon à
Racine, qui n'écrivait plus depuis longtemps et qui prit modèle
sur la tragédie grecque. Nous avons la responsabilité de maintenir
ce répertoire de la tragédie et de la comédie grecque et latine.
Ce qui caractérise aussi la Comédie Française, c'est qu'elle
a toujours été un lieu de création, où le public vient découvrir
une œuvre. Ça a été vrai de Montherlant, de Gide et surtout
de Claudel avec Le Soulier de satin qui, à mon avis,
a été la grande création pour la Comédie Française au XXe
siècle. Il faut dire que pour le reste, la Comédie Française
a suivi un mouvement qui s'est déroulé en dehors de ses murs,
elle a fait rentrer Brecht, Audiberti... Nous ouvrons notre
prochaine saison avec Savannah Bay. Ça me paraissait
important que la Comédie Française fasse entrer Marguerite
Duras au répertoire et à mon avis, c'était la meilleure œuvre
pour notre salle Richelieu.
Établir le programme d'une saison n'est pas le fruit du hasard
mais celui d'une véritable recherche. Il faut non seulement
décider des œuvres mais également trouver les personnes susceptibles
de les monter. C'est le couple metteur en scène-auteur qui
est important, d'autant plus qu'ici, nous sommes une troupe.
On doit donc réfléchir au répertoire pour notre public mais
également pour la troupe. On ne peut pas la laisser trop longtemps
sans jouer de tragédie, de vaudeville ou de Victor Hugo. Nous
devons être pointu dans chacune des interprétations et c'est
un énorme travail pour la troupe que de se tenir prête à interpréter
des formes aussi diverses, avec des chefs si différents. C'est
une partie de mon activité que de trouver une harmonie pour
la troupe et à mon avis, ce qui est bon pour la troupe est
bon pour notre public et réciproquement, puisque les motivations
du public venant à la Comédie Française, c'est d'abord le
répertoire, ensuite la troupe et puis la beauté des lieux.
C'est donc une trilogie absolument magnifique.
Notre répertoire est essentiellement français, mais il sait
aussi inclure le répertoire étranger, le mouvement des idées
en Europe au sens large. Ne sont encore jamais entrés à la
Comédie Française de Nô ou de théâtre chinois. Peut-être qu'un
jour, nous monterons un théâtre d'une autre civilisation.
Mais pour l'instant, le répertoire est principalement européen.
Parallèlement, on s'aperçoit aussi qu'il y a une fidélité
de la Comédie Française avec le théâtre russe, importante
dans ces cinquante dernières années. Et cette fidélité a été
initiée par Michel Vitold, russe d'origine, et qui a monté
ici des Dostoïevski. Mes prédécesseurs ont eu à cœur de monter
Gogol récemment, Erdman, nous avons monté Tourgueniev, bien
évidemment Tchékhov et nous n'avions pas encore monté Ostrovski.
Ce dernier est très peu connu en France. C'est aussi l'amitié
qui me lie à Piotr Fomenko, depuis une dizaine d'années, qui
nous a incité à la fois à faire venir Fomenko et à lui demander
de monter Ostrovski, parce qu'on a pensé que c'était la personne
la plus habilitée au monde à le faire.
Voilà pour les grands axes.
Je conclurai en disant que c'est une activité qui me prend
tout mon temps, comme si j'écrivais un poème qui n'a pas de
mots, s'apparentant tout à fait ce que dit Zeami, le grand
maître japonais, car il n'y a pas de meilleure façon de s'exprimer.
Il dit qu'effectivement, l'art de l'acteur, c'est aussi l'art
de composer un bouquet de pièces, et faire une saison ou monter
des représentations de Nô, c'est composer un bouquet. Mais
évidemment, dans la composition de ce bouquet, les fleurs
sont d'espèces variées et pourtant, on arrive à avoir le sentiment
d'une unité, d'une beauté. Il semble - et l'on ne sait pas
toujours pourquoi - que les choses se fassent un peu écho,
et tout ça, c'est le travail pour faire descendre les livres
des bibliothèques. Ce n'est pas une chute de textes tombés
par hasard, c'est le fruit d'une réflexion, jusqu'à ce que
l'on ait l'impression que tout ça sonne, et risque de produire
un voyage, un déplacement, des plaisirs extrêmement différents
dans l'esprit et dans le corps des spectateurs.
En 2002-2003, c'est l'année de l'Algérie en France et Kateb
Yacine est un des grands esprits du XXe siècle. C'est un saint,
on connaît son enfance qu'il a racontée, on connaît son éducation
à l'école française, son séjour dans nos prisons, dans lesquelles
il a rencontré le peuple, dit-il . Il n'a jamais cessé, me
semble-t-il, d'être quelqu'un qui vivait de façon extrêmement
simple, vagabonde, qui a traversé le monde et toute l'histoire
de son pays avec une attitude tout à fait particulière, me
rappelant Saint François d'Assise. Tout cela pour dire en
quelle estime il est tenu. J'ai eu la chance de me rendre
en Algérie, il y a un an, pour jouer La Princesse de Clèves.
J'ai rencontré là-bas des artistes algériens, et donc la Comédie
Française s'associe à l'année de l'Algérie en France en rendant
une sorte d'hommage à Kateb Yacine, dans la salle Richelieu,
et en accueillant une troupe algérienne au Vieux Colombier.
Ça me paraît tout à fait rentrer dans notre mission.
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